Naturalia : Chronique des Ruines Contemporaines
Enfant, j’ai vu un documentaire animalier qui m’a marqué à vie. Il portait sur la fonte des glaces et ses conséquences sur la vie des ours polaires. Je me souviens encore de cet ours qui peinait à nager pour trouver un morceau de banquise. D’après le Dr Haim Ginott, pédopsychologue, « les enfants sont comme du ciment frais, tout ce qui leur tombe dessus y laisse une trace». Pendant toute ma jeunesse, à chaque fois que mon père ou ma mère faisait quoi que ce soit qui semblait mauvais pour l’environnement, je leur répétais cette phrase : « Attention, tu tues les ours ! ».
Cette conscience écologique m’a rendu attentif à la Nature qui m’entoure. Parfois, Elle s’immisce dans des endroits inattendus et revient occuper des lieux dont nous l’avions chassée. Elle est plus forte et, quoi qu’il advienne de l’Homme, Elle sera toujours là.
Naturalia : Chronique des Ruines Contemporaines pose une question fondamentale : celle de la place de l’Homme sur Terre et de sa relation avec la Nature. Alors que l’impact de l’Homme sur son environnement n’a jamais été aussi fort, cette série cherche aussi et surtout à éveiller les consciences, sans être pessimiste.
L’Homme construit, l’Homme abandonne. A chaque fois pour des raisons qui lui sont propres. La Nature n’a que faire de ces raisons. Une chose est sûre, quand l’Homme part, Elle revient et reprend tout.
Dans son poème Eternité de la Nature, brièveté de l’Homme, Alphonse de Lamartine écrit : « Triomphe, immortelle nature ! / A qui la main pleine de jours / Prête des forces sans mesure / Des temps qui renaissent toujours ! ». Dans sa progression inexorable, la Nature commence par reprendre une statue dans le parc d’un château français (slide 1). Ensuite, elle s’attaque à la façade d’une villa italienne (12) avant d’infiltrer l’intérieur d’un château croate (14) ou d’une serre belge (25). Puis Elle pousse dans l’atrium d’un palais polonais (31), dans une gare hongroise (32) ou un théâtre cubain (34), 2avant d‘envahir un château monténégrin (52). Ensuite, en prenant plus de Temps, Elle emprisonne une villa taïwanaise de ses fortes racines (59).
L’étape suivante ? L’écroulement puis l’enfouissement.
Le poète Léo Ferré disait « Avec le Temps, va, tout s’en va ». Ainsi, quand la Nature et le Temps auront repris ce que l’Homme abandonne, que restera-t-il de notre civilisation ?
Par Yann Arthus-Bertrand
Photographe, reporter, réalisateur et écologiste français. Président de la fondation GoodPlanet
(Extrait de la préface de Naturalia II)
Quand j’ai rencontré Jonk pour qu’il me présente son projet, j’ai senti la passion qui l’anime, l’obsession même. J’aime les gens passionnés, ce sont eux qui font avancer les choses. Beaucoup de choses nous rapprochent lui et moi. Tous les deux autodidactes, ce sont les lions qui m’ont appris la photographie et lui les friches. C’est la conférence de Rio en 1992 et la double page qui lui était consacrée dans Le Monde qui m’a fait commencer un travail sur La Terre vue du ciel. C’était la première fois qu’on parlait de développement durable, de réchauffement de la planète, de perte de la biodiversité. Jonk a, quant à lui, eu l’étincelle grâce à un documentaire sur la fonte des glaces et ses conséquences sur la vie des ours polaires. Je sentais en faisant La Terre vue du ciel que j’étais en train de faire une œuvre, que toutes ces photos, les unes à côté des autres, était un travail très fort. J’étais un des seuls à le croire, mais j’étais animé par une passion qui me poussait à continuer. C’est la même passion qui pousse Jonk aujourd’hui. […] Aujourd’hui, la voie est de dire la vérité. Ce que nous pouvons apporter en tant que photographes est de faire regarder la vérité en face. Ce que fait Jonk avec son travail Naturalia porte un message fort : montrer à quoi ressemblerait la Terre si l’Homme venait à disparaître. Ce message pourrait être apocalyptique. Or la manière utilisée ne l’est pas du tout. En choisissant soigneusement les lieux qu’il montre, Jonk se sert de la beauté pour faire passer son message. La sobriété des cadrages pousse encore plus ce message. Jonk s’efface derrière ce qu’il montre. Une belle photo, simple, sans artifices, supplante tous les discours, permet d’avertir qu’il y a urgence, que la menace est réelle, que l’Homme tient son avenir entre ses mains, qu’il est trop tard pour être pessimiste et que l’heure est à l’action. Grâce à son travail, il essaie de faire prendre conscience qu’il est urgent de se mobiliser. Il veut amener l’écologie au cœur des consciences.
“C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas.” Victor Hugo
“Nous ne pouvons pas perdre espoir en l’humanité, car nous sommes nous-mêmes des êtres humains.” Albert Einstein